Neuvaine

Editorial du 24 décembre « 

« Sans le Christ,
il n’y a pas de paix authentique »

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté » chante la troupe céleste à la naissance du Christ. Mais en quoi consiste cette « paix » ? Entretien avec Sœur Marie Mühlethaler, prieure des bénédictines de Notre-Dame du Calvaire, sur le mont des Oliviers, à Jérusalem.

De quelle manière Noël est-il la fête de la paix ?

Quand nous fêtons Noël, nous ne fêtons pas uniquement les anges, les bergers et la naissance d’un Enfant-Dieu : nous fêtons Jésus qui est né, a vécu et est mort au cœur de la violence… Notre petite congrégation de bénédictines de Notre-Dame-du-Calvaire – fondée au XVIIème siècle en France, en pleine Réforme catholique – le sait bien, elle qui s’est installée à Jérusalem au XIXème siècle, afin de prier pour le recouvrement des Lieux saints – qui étaient aux mains des Turcs – et pour la paix sur cette terre meurtrie depuis toujours. En effet, n’oublions pas que, déjà du temps de Jésus, Jérusalem n’était pas la ville de la paix : le Christ naît dans la violence, sous occupation romaine. Et à peine est-il né que les Saints Innocents sont massacrés par Hérode. Lui-même doit fuir en Égypte avec ses parents pour échapper au meurtre. Par ailleurs, depuis notre monastère, nous voyons tous les lieux de la Passion, nous pouvons suivre le parcours de Jésus depuis son agonie à Gethsémani… Il ne craint pas de s’incarner et de prendre sur lui cette violence, bien au contraire : il vient même précisément là où il y a le plus de souffrance, le plus de détresse, de péché… C’est ce qu’il révèle en disant : « je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mc2,17). Le Christ veut faire naître sa paix dans la guerre, dans la violence. Tout cela est présent dans la fête de Noël, ce n’est pas une fête qui met entre parenthèses la violence, bien au contraire : l’Incarnation a lieu au milieu de cette violence de notre humanité. Ainsi, le Prince de la paix, a voulu prendre, le premier, le chemin de la paix pour nous y guider. Nous qui avons la chance inouïe de savoir cela, nous devons faire connaître au monde cette grâce de la paix que Dieu est venu nous offrir à Noël !

Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne », dit le Christ (Jn 14.27). Quel est le lien entre le salut qu’il nous offre en venant dans le monde à Noël et la paix ?

La violence qui secoue la Terre sainte depuis toujours peut tous nous habiter, elle fait partie de nous, depuis le péché originel. Nous l’éprouvons parfois au sein même de nos communautés, dans nos familles, sur nos lieux de travail… La paix est toujours à recevoir de Dieu, elle découle du Salut. C’est ce que manifeste Jésus lorsque, après sa résurrection, il apparaît à ses apôtres au Cénacle en disant : « La paix soit avec vous ! » Il ne dit pas « l’amour », il dit la paix, car elle est le fruit du salut qu’il vient de gagner par sa victoire sur le péché et la mort – « salaire du péché » (Rm 6,23). Et donc sur le mal et la violence dont le péché est la source… Il n’y a donc pas de paix authentique sans le Christ.

Comment accueillir la paix dans cette fête de Noël ?

Mais il ne peut pas nous la donner si nous n’y travaillons pas, si nous n’accueillons pas son salut, si nous ne nous convertissons pas à son amour. Il y a un combat spirituel pour la paix qui commence à l’intérieur de nous. Pour que le Berger de la paix naisse en nos cœurs, il faut que nous lui offrions un berceau plein de douceur et d’humilité, disponible à l’accueillir vraiment, et non un berceau plein d’épines. C’est le plus beau cadeau que nous puissions faire à Jésus à Noël. Et si nous ne le pouvons pas car nous vivons des choses trop douloureuses, il faut lui demander de venir mettre en nous la paix qu’il vient donner à Noël.

Le cantique de Zacharie, que nous disons chaque jour à la fin des laudes, dit : « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut : tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras le ses chemins (…) pour conduire nos pas au chemin de la paix. » Voilà ce que Jésus vient nous donner à Noël : la paix, celle que nous désirons tous mais que, sans lui nous ne pouvons pas trouver. Mais encore une fois, ne nous leurrons pas, la paix n’est donc pas donnée instantanément : elle est un chemin sur lequel Dieu nous conduit, nous guide, en dirigeant nos pas vers lui, sur le chemin du bien, seul moyen d’atteindre la paix. « Évite le mal, fais ce qui est bien, poursuis la paix, recherche-la », avertit le psaume 33. La paix est une quête, qui commence à Noël…

Comment avancer sur le chemin de la paix ?

« si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles, alors, lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible », écrivait Athénagoras (1886-1972), patriarche de l’Eglise de Constantinople. Ce texte évoque le message de la Nativité. En effet, Dieu seul a fait du neuf avec son Incarnation, comme il l’avait annoncé par la voix du prophète Isaïe :
«Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides » (Is43,19). Le péché, c’est « ce qui a existé, (…) qui existera ; (…) rien de nouveau sous le soleil », disait l’Ecclésiaste (Ec 1,9). En revanche, la « chose nouvelle » que Dieu réalise, c’est le chemin de son salut, de son amour, de sa miséricorde qui passe dans le désert de notre violence, de nos péchés… Une nouveauté extraordinaire, qui commence … la nuit de Noël. Ainsi, préparer un berceau dans mon cœur pour accueillir le Prince de la paix qui naît à Noël, c’est croire que Dieu peut faire « toutes chose nouvelles » dans ma vie. Vivre la joie de Noël, ce n’est pas être irénique en pensant ce soir-là que tout est merveilleux, tout est beau, tout est pur comme un regard d’enfant… C’est  plutôt accueillir l’Espérance qu’il y a toujours place pour la nouveauté de Dieu dans toute vie car « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1,37).

« Je vous donne ma paix », dit le Christ, à travers le prêtre, juste avant la communion. Peut-on faire un lien entre l’Eucharistie, Noël et la paix ?

A travers la liturgie, c’est toujours aujourd’hui que Dieu naît. Dans l’Eucharistie comme dans la crèche à Noël, c’est toujours aujourd’hui qu’il vient nous apporter cette promesse du salut, cette espérance neuve. En accueillant le Corps du Christ dans l’hostie consacrée, nous recevons la paix de son salut qui prend chair à Noël

Propos  de Soeur Marie Mühlethaler,
prieure des bénédictines de Notre-Dame-du-Calvaire,
sur le mont des Oliviers, à Jérusalem
recueillis par Emile Pourbaix
article de la revue France Catholique du 15 décembre 2023 n° 3838